polygamie, thème à la mode

Publié le par Marin FAVRET

alors que je travaille sur un essai relatif au droit civil des étrangers en France, voici la première version sur la polygamie :

La polygamie.

 

Présentation.

 

Etymologiquement, polygamie signifie pluralité des mariages et s’applique à la pluralité d’époux (polyandrie) ou d’épouses (polygynie). De fait, le terme polygamie correspond aujourd’hui à la pluralité des épouses.

 

La polygamie légale.

 

La polygamie est reconnue légalement dans une cinquantaine de pays : Afghanistan, Algérie, Angola, Arabie Saoudite, Bahreïn, Bangladesh, Bénin, Birmanie, Brunei, Burkina Faso, Cambodge, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Djibouti, Egypte, Emirats arabes unis, Gabon, Gambie, Guinée équatoriale, Indonésie, Irak, Iran, Jordanie, Kenya, Koweït, Laos, Lesotho, Liban, Libéria, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Nigeria, Oman, Ouganda, Pakistan, Qatar, Sénégal, Somalie, Soudan, Sri Lanka, Swaziland, Syrie, Tanzanie, Tchad, Togo.

 

Il faut bien entendu admettre que la polygamie est également reconnue par la France pour certaines catégories de sa population. C'est le cas des résidents de l'île de Mayotte qui sans avoir le statut civil de droit commun ont conservé leur statut personnel, lequel est régi par une version locale de droit musulman dont les différends sont tranchés respectivement par le Tribunal du grand Cadi de Mayotte, puis le tribunal supérieur d'appel. Ces décisions peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant la cour de cassation à Paris (voir par ex. Cour de Cassation, Ch Civ 1, n° 94-19231 du 25 février 1997). Les situations de polygamie sont évidemment prises en compte tout à fait légitimement dans toutes leurs conséquences civiles tant qu'elles ne sortent pas de la sphère du statut local.

 

L'origine coutumière.

 

Dans d'autres pays, elle a tendance à se pratiquer malgré l'interdiction formelle  : Tunisie, Ouzbékistan ou Tadjikistan par exemple (au Tadjikistan où la polygamie coutumière n'a jamais cessé en réalité, l'accusation de polygamie sert fréquemment à abattre les opposants politiques malgré les garanties fondamentales issues de la constitution de 1994. 280 personnes ont été condamnées pour polygamie dans la période 2003-2004).

 

L'essentiel du droit civil des pays où la polygamie persiste, repose sur un droit coutumier ou tribal. C’est ainsi que la plupart des pays du proche et moyen orient ne disposent pas d'un droit de la famille applicable à toute leur population. Par exemple la charia ne s'applique qu'aux musulmans et respecte les coutumes non musulmanes.  En conséquence, les règles concernant le mariage, le divorce – ou la "répudiation" - l'autorité parentale, le statut des enfants et leur garde sont différents d'un groupe de population à l'autre, que ce groupe soit tribal, religieux ou autre (ethnique). Dans tout le proche ou moyen Orient, de nombreuses "communautés" non musulmanes ont gardé en ces matières - et parfois en d'autres domaines qui touchent, par exemple, à l'exploitation des sols ou à la gestion des commerces – des droits coutumiers d'exception.

 

Le droit islamique a ses propres versions de la polygamie. Cependant elle présente une caractéristique essentielle : le lien marital établi entre le mari et chacune des épouse doit être légitime. Ceci explique par exemple l'absurdité des viols de filles enlevées par les GIA en Algérie seulement après une autorisation prononcée à la va-vite d'un imam intégriste. L'islam majoritaire est lui-même divisé en branches, sectes et confréries souvent rivales et presque toujours dotées d'une organisation décentralisée. Il contribue, pour sa part, à cette pulvérisation du droit familial, en normes non validées par un Etat, lequel laisse aux autorités religieuses le soin d'expliciter ce droit musulman.

 

Parmi les pays musulmans, peu ont tenté d'éradiquer la polygamie. La Tunisie et la Turquie en sont de rares exemples. En Egypte et en Jordanie, 8 % des hommes ont plus d'une épouse, mais très peu dépassent le chiffre de deux. En Syrie, un homme qui veut prendre une seconde épouse doit apporter la preuve qu'il en a les moyens. En Arabie Saoudite enfin, 70 % des hommes ont une seule femme, 16 % deux, 6 % trois et 2 % quatre.

 

L'Afrique noire est aussi concernée. La polygamie y est tribale et souvent en conflit avec les obédiences religieuses majoritaires. Au Nigeria, un roi Yoruba local a été déposé du fait de sa polygamie dans un contexte de réprobation par les autorités religieuses chrétiennes locales protestantes. Un projet de loi d'interdiction de la polygamie a suscité une levée de boucliers en Ouganda. Le roi du Swaziland organise régulièrement des fêtes avec toutes les jeunes vierges du pays, dans le but de choisir sa énième épouse. En Côte-d'Ivoire enfin, comme dans un certain nombre de pays d'Afrique de l'Ouest, le nombre d'épouses est limité à quatre.

 

Le rôle de l'Etat étant de garantir tout de même des règles communes, celui-ci a tenté de rationaliser ces rapports coutumiers. Par exemple, la République Arabe Unie a établi en 1958 un projet de droit de la famille inspiré du Code Suisse. Ce projet n'a jamais abouti. A partir de 1985, un deuxième essai a été tenté par le Conseil des Ministres Arabes de la Justice dont la concertation a débouché, sept ans plus tard, sur un "Document de travail" au Koweït portant code arabe unifié du statut personnel". Ce modèle de loi n'a été ratifié par aucun pays. En outre, le projet ne traitait pas des non musulmans. Des tentatives de réforme législative sont néanmoins intervenues par exemple en Egypte. Le principal est celui de l'Irak qui en 1958, avait interdit la pratique de la polygamie, mais elle a été rétablie par Saddam Hussein en 1994. L'Irak avait mis en vigueur, en 1959, un code de la famille d'assez bonne qualité. Mais un demi-siècle d'application, cahotée par maintes péripéties politiques et finalement stabilisée pendant la longue période du régime bassiste qui était fondamentalement laïque, n'a pas suffi a rendre son application pérenne. Le Conseil de Gouvernement mis en place par l'autorité américaine d'occupation en Irak, a pris en janvier 2004, une "décision 137" qui vise à l'abolition de ce code, c'est-à-dire à la restauration du "droit" traditionnel. Il semble que l'autorité américaine, assaillie de reproches locaux et internationaux, en a suspendu l'application.

 

Le cas des mormons américains

 

L'une des idées reçue la plus répandue est que la polygamie est autorisée au Etats-Unis. C'est faux bien sûr.

 

Dans l'une des ses lettres, le prophète autoproclamé " d'une secte polygame et apocalyptique " dissidente de l'église mormone, L'Eglise véritable et vivante de Jésus-Christ des saints des derniers jours (True and living Church of Jesus Christ of Saints of the last days), voue l'une de ses (anciennes) épouses aux gémonies. Rachel, de 43 ans sa cadette, était l'une de ses dix huit femmes. Quelques mois plus tôt, accompagnée de sa mère, elle s'était libérée " du joug " du prophète époux. Soutenue par une organisation d'aide, elle a porté plainte devant les autorités de l'Utah.

 

Mais si la loi américaine punit la polygamie, les poursuites, jusqu'à présent, restent rares. Ainsi le chef de l'église fondamentaliste de Jésus-Christ des derniers jours, Warren Jeffs, est actuellement recherché par les autorités de l'Arizona pour avoir arrangé le mariage d'une mineure.

 

Dans God's Brothel (" Le bordel de Dieu "), un ouvrage sur les victimes de la polygamie, Andrea Moore-Emmett, explique que cette pratique concerne aujourd'hui 38 Etats. Depuis leur siège de Salt Lake City, les Mormons exercent un contrôle presque total sur l'Utah. Tous les représentants de l'Utah au Congrès sont mormons, " de même que Harry Reud, l'un des chefs de file de l'opposition démocrate au Sénat ".

 

Il existe par ailleurs des dizaines de sectes polygames dissidentes de l'église mormone.

 

Effets de la polygamie.

 

L’évaluation du nombre de familles polygames en France variait entre 8.000 et 15.000 en 1992 -1993 soit, alors, compte tenu du nombre moyen d’enfants, 150.000 personnes concernées au maximum. Leurs conditions de vie ne favorisent pas une bonne intégration comme le montrent depuis 1985 diverses publications. Elles mettent en évidence les difficultés que rencontrent aussi bien les femmes que les enfants dans les familles vivant en situation de polygamie en France : difficulté d’appropriation de l’espace par les épouses, promiscuité, isolement et dépendance financière des épouses qui exacerbent leurs rapports de concurrence, ces derniers favorisant la natalité, dégradations des relations entre les enfants et les conjointes.

 

Dans un contexte légal d’interdiction de la polygamie, il n’est pas rare que soient substitués les papiers d’une épouse à l’autre. Cela peut conduire à des difficultés de prise en charge médicale et donc à des problèmes de santé et d’identité.

 

L'interdiction de la polygamie en France est prévue à l'article 147 du code civil qui prévoit "On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier" (inapplicable rappelons le aux personnes sous statut personnel des TOM). Reste à mesurer sur le territoire l'étendue de la portée de cette interdiction. En fait elle est absolue lorsque l'un des deux membres du couple est français. Il n'y a pas d'approche unilatérale de la polygamie comme par exemple entre un français et un étranger dont le pays autorise la polygamie. La seule polygamie tolérée est celle dont la nationalité de chacun des époux autorise la polygamie. C'est l'approche bilatérale (voir en ce sens Cour de Cassation 1ère ch.Civ 24 septembre 2002, n° de pourvoi 00-15789).

 

Le Conseil constitutionnel ajoute qu'une vie familiale normale en France telle qu'elle prévaut en France, exclut la polygamie (décision du 13 août 1993, n° 93-235 DC).

 

Ainsi l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, exclut que le regroupement familial puisse être accordé à une deuxième épouse. L'article 6 de ce même accord conditionne la délivrance ou le renouvellement du certificat de résidence à une situation matrimoniale conforme à la législation française. Cette concurrence entre l'accord franco-algérien et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile aboutit à une situation inégalitaire entre les étrangers polygames : Les articles L314-5 et L411-7 du coseda permettent le retrait du titre à tous les étrangers sauf aux algériens. Les algériens ne sont exposés qu'à un refus de délivrance ou de renouvellement de leur titre de séjour.

 

Les situations issues de la polygamie sont très variées. Tel est le cas lorsqu’à la suite d’un décès, la veuve découvre en même temps que l’administration que feu son époux a laissé au pays une première épouse. Laquelle réclame sa part de pension.

La polygamie peut résulter d'une concurrence entre un mariage traditionnel conclu avec un premier conjoint et un mariage célébré en France avec une deuxième épouse. Le droit français se désintéresse pourtant de la polygamie de fait pour ne gérer que l'interdiction de la polygamie "de mariages".

Sur le plan fiscal, la jurisprudence adapte les solutions applicables aux contribuables ordinaires. Ainsi un contribuable polygame ne peut compter des enfants d'un premier mariage et restés à l'étranger s'il n'apporte pas la preuve qu'il en assurait totalement ou même partiellement la charge effective. Seuls seront pris en compte les enfants nés du dernier mariage effectivement à charge (CAA de Nantes, n° 03NT01434 du 20 décembre 2004).

La jurisprudence est souvent considérée comme laxiste lorsqu'elle est placée devant des situations de polygamie. Ainsi, un arrêté de reconduite à la frontière frappant l'une des épouses d'un résidant, rentrée en France depuis au moins cinq ans et qui est mère de trois enfants, porte dans ces conditions une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée au sens de l'article 8 de la CEDH (Conseil d'Etat, n° 236631 du 28 décembre 2001).

Cependant le juge confirmera un refus de séjour d'une personne se maintenant irrégulièrement en France en constatant que les revenus de son époux polygame sont insuffisants. De même du fait de la situation de polygamie en France de son époux, cette personne ne pourra invoquer l'article 8 de la CEDH (CAA de Lyon, n° 97LY02515 du 15 mars 2001, KONTA).

 

La polygamie couverte.

 

Une situation de polygamie peut résulter d'un calendrier trop serré entre la célébration d'un deuxième mariage et une procédure de divorce du premier mariage en train d'aboutir. La polygamie, de fait, cesse au prononcé du jugement de divorce. Une procédure en nullité de ce type de mariage n'apportant aucun gain social et juridique, elle n'est, en général pas poursuivie par le parquet. C'est une situation de polygamie couverte.

Les conséquences en sont très variables. Par exemple, puisque la preuve formelle du décès d'une première épouse avant la célébration du second mariage n'a pas été apportée, le mariage est nul pour cause de bigamie (Cour de cassation, ch. civ. 4 octobre 2005, n° 02-067, Kouyata).

 

Publié dans droitpublic

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B
<br /> <br /> Est-ce sciemment où par manque d'information que vous ne parlez que de la polygamie musulmane ? Dans votre liste des pays où la polygamie est un état de fait coutumier, il faudrait ajouter la<br /> Thaïlande où, à l'inverse du Tadjikistan, les officiels (même un ministre) ayant plusieurs épouses sont considérés avec grand respect et envie.<br /> De plus, la classe sociale concernée est plutôt aisée, composée de femmes ayant fini leurs études secondaires où universitaires, ce qui me fait penser que la polygamie est un aspect social très<br /> bien accepté parmi la population éduquée.    <br /> <br /> <br /> <br />
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L
Aux Etats-Unis dans l'Etat de Utah... Les Mormons pratiquent la polygamie depuis plus de 200 ans. Cela fait 2 siècles de lutte contre le gouvernement américain pour abolir la polygamie............... La série BIG LOVE = un succès 2008 !! Et la 3e saisons à partir de janvier 2009<br /> URL : <br /> http://www.hbo.com/biglove/
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J
Une curiosité personnelle (si vous êtes au courant). J'ai un vague souvenir d'avoir lu quelque part il y a très longtemps que les jugements du Tribunal du Grand Cadi de Mayotte ne seraient pas revêtus de la formule habituelle "Au nom du peuple français" mais d'un "Au nom d'Allah tout puissant et miséricordieux". Est-ce exact ou était-ce un fantasme de l'auteur de l'article (dont je n'ai hélas plus aucune mémoire de la référence) ?
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